Ah, caill’ra, caill’ra,
caill’ra !
Dans le centre-ville,
Les nouveaux édifices
sont en verre.
L’architecture n’est que
transparence et lumière, voudrait faire rimer frénésie et sérénité.
Tout semble grand ouvert,
comme s’ils voulaient crier :
« Entrez !
Voyez mes frères ! On a rien à cacher ».
Pourtant, à y regarder
d’un peu plus près, on voit des sous-flics à chaque étage,
A chaque coin de
couloir.
Comme chez nous, mais en
pire, on ne s’y sent pas invités…
Les rues bénéficient des
miracles de la miniaturisation et de
l’efficacité,
Accordons sept oscars
aux caméras de sécurité :
Elles filment votre
survie.
Le scénario manque de
rythme, de péripéties,
D’inattendu, d’inespéré.
Vous n’êtes plus spectateurs,
mais acteurs, malgré vous ;
Offrez-vous un vrai
rôle, un rôle de voyou !
Chez nous c’est pas
pareil, c’est plutôt gris béton.
Même si des fois c’est
ocre, plus chaud, plus mélangé.
Quand le soleil se
couche, il nous fait la politesse d’être gratuit.
Si gratuit qu’il fait
partie des choses qu’on refusera toujours d’acheter.
Des murs et des
fenêtres, des fenêtres et des murs, des murs et des fenêtres,
Des fenêtres et des
murs, des murs et des fenêtres…
Seules celles qui nous
regardent de haut ne sont pas protégées.
Elles se croient à
l’abri, mais gaffe, on peut voler !
Moi, ce qui m’intéresse,
quand je suis dans les airs, c’est les caves, le commissariat
Et le centre plus
municipal que social.
Je ne supporte pas leurs
barreaux qui m’emprisonnent dehors,
Qui me condamnent
d’avance,
Me préparent à accepter
ce que l’avenir bêle me réserver.
Je le ferai
mentir ;
Comme lui, je suis sans
pitié.
Les bicoques des gueux
Ont au moins la vertu
D’apprendre la patience.
Ô, brillants architectes,
Toutes petites têtes,
Qui n’y habitez pas,
Merci de nous offrir
Ces rasants
tintamarres :
Les moteurs stridulants
La tumultueuse vie des
voisins
Qui ont des problèmes
d’argent,
Le bourdon du périph’,
la millefa, les copains,
Le chant des sirènes
qui, ici, crissent et l’abruti du
rez-de-chaussée.
Certains n’apprécient
pas que l’on soit si vivants :
« Mais écoutez-les
donc, c’est vrai qu’ils sont
bruyants ! ».
Il suffit d’aimer ça et
de s’entraîner à couvrir le boucan.
Ça exige rigueur,
énergie et ténacité.
C’est beaucoup plus
facile quand on n’a pas le choix.
Le jeu en vaut la
chandelle car notre langue est admirable :
Cocktail détonnant
Aux oreilles des riches.
Elle mêle rire et
colère, allie jeu et révolte et brille d’innocence, de générosité.
On tchatche, on baratine
On pérore, on jacasse
Jamais pour ne rien dire.
Accros à la palabre ;
La démocratie ne se
construit pas dans le silence.
Et puis, il y a le
corps.
Ça, tout le monde en a
un.
C’est un droit humain.
Et comme tous les
autres, il peut être bafoué
Alors on y prend garde.
Les très pauvres ont
toujours dû courir très vite,
Quelle que soit leur couleur…
Petit- fils de
cimarrons, héritiers d’ilote,
Descendants de chair à
colons,
Nous gambaderons
longtemps encore,
Exaltés par nos
hérédités.
Quand on n’a presque
rien, c’est peut-être l’instinct de survie ?
On veille à être
puissant, rapide et vigilant
Pour ne pas se priver de tout ce qui reste
Ça permet, à défaut de
l’être, de se sentir fort
Et de rester beaux,
jusqu’à ce que ce que l’on mange,
Ceux qui nous mangent,
Réussissent à nous
amocher.
« Zones de
non-droit » ! Pour qui ? Et le droit de
glander ?
Venez voir par
vous-mêmes
Et vous verrez qu’il n’y
a que des zones ou vous ne mettez plus les pieds
Parce que vous ne le
voulez plus.
Où il y des enfants
qu’il faut parfois gronder,
Des sages adoucis par la
vie,
Profonds de différences
Et partout des couleurs
qui peuvent aussi être joyeuses,
Une folie qui fait
Moins peur que votre
norme.
Pléthore de raisons de
ne pas adhérer au nauséeux message :
« Maintenant le lien social, c’est
à
l’hypermarché ».
Ceux qui disent vouloir
le bien de tous se ruinent en effort,
Ne ménagent pas leur
peine,
Pour lutter contre nous,
les incivilisés.
On sait pourtant ce que
veulent dire « bonjour », « s’il
vous plaît », « merci »,
« Vous m’en voyez confus »
ou « j’en suis fort marri »
Par contre, quand on
parle de respect,
C’est toi qui pouffe
jaune,
Tu comprends le
contraire.
Cela pourrait n’être,
après tout,
Qu’affaire de jugeote.
Cher ennemi chroniqueur,
expert en boniments, petit politocard, chercheur en vanité.
Tu gloses sur mes potes
en prenant un air inspiré,
Inquiet,
Parfois perplexe,
Aussi profond que creux.
On dirait - c’est
gênant ! - que tu ne fais même pas mine
De te tromper à ce
point.
Tu es construit, cousin,
libère-toi de ton
quartier, de ta famille, de ta culture et de tes trouilles.
Car pour le diagnostic,
Tu peux te rhabiller
Tu manques cruellement
D’une lucidité
Facile à acquérir
Quand on se voit dépeint
Et caricaturé.
Je sais ce qu’est
mentir,
Ne rien comprendre à
rien :
C’est toi qui me
l’apprends,
Tartufe quotidien.
C’est à tous les niveaux
Que tu manques de
classes
Ce vilain vieux gros mot
Qui t’écorche la gueule.
Tes valeurs, tes modèles
Sont aussi mensongers
Que tout ce qu’on
raconte
Chez toi, à la télé.
De grâce, faites-le
taire !
Ou changer de sujet,
Avouer s’il l’ose,
Où est son intérêt,
Son petit intérêt,
Tout petit intérêt,
Intérêt minuscule
Dont on vient à douter
De l ‘existence
même.
Tu vomis nos
musiques :
Elles sont
insupportables !
Elles ne sont pas à
vendre,
C’est du lourd, du
bizarre.
Economie d’basse-fosse,
joyeux travail au noir
Magie du collectif,
Elles font l’histoire de
l’art.
Tant pis pour les
clochards qui ne rêvent qu’au fric.
Si on s’expose aux
vannes
C’est qu’on veut pas
mourir
Vivre, c’est inventer
De nouveaux territoires.
On se paie au mérite
D’éclair d’yeux dans le
noir.
Je n’ai pas de métier,
mais sois sincère, toi non plus.
Tu es payé à essayer
d’exister,
Mais tu n’as pas compris
grand-chose.
Tu es seulement né du
bon côté de la matraque
Car je vais t’expliquer
ce que c’est de n’être jamais entendu
Ou bien d’entendre toujours non.
Ça ne ressemble en rien
à être cru et répété
Parce que personne ne
parle.
Moi, au moins j’ai
compris que tout ce qu’on entend
Sans vraiment écouter
n’est que farce
grossière, vérité inversée
Les médiatiques et les
publicitaires font désormais le même métier :
Ils sont achetés pour
vendre.
Et se croient pourtant
malins,
Voire pire, utiles !
Ils nous prennent pour
des cons
Mais il semble, cruelle
ironie, qu’ils l’aient eux-mêmes oublié ;
Leur air de se prendre
au sérieux les trahit.
L’humour est une
richesse très paradoxale et hautement subversive:
Il ne s’offre
entièrement qu’aux pauvres qui résistent à la tristesse.
Ceux qui s’y résignent
nous en veulent de rire
Prennent notre joie
contre eux.
L’humour, c’est la
distance, pouvoir se contrôler.
Ça s’apprend à l’usage
Des insultes, des
humiliations, des bassesses
Le pire, c’est quand tu
es dans une foule que tu juges plutôt amie
Et que tu entends
l’injure,
Persiflée entre deux
lèvres,
Aussi courageuses
qu’anonymes.
Il faut rester
tranquille,
Repenser aux stoïques,
Se la jouer différence
indifférente ;
Tu aurais l’air d’un fou
Facile à accuser.
Ça pourrait être pire,
Ça l’a déjà été
Ça ne fait que montrer
Que ça n’est jamais
terminé.
Rappelons-nous qu’il
vaut mieux, même si c’est difficile,
S’amuser de la bêtise
des pauvres ressentimentaux.
Ils n’ont pas beaucoup
d’amis.
Et sont plutôt à
plaindre qu’à craindre.
Par contre, quand les
institutions s’en mêlent
(Une institution, ça dit
tomber du ciel, comme la foudre, c’est plus dur d’en discuter…),
Il faut aussi s’en mêler.
Je suis du genre à juger
plus légitime
Et même à préférer
L’outrage à
l’arbitraire,
L’émeute au meurtre,
L’insulte à l’injustice,
Les symboles mécaniques
qui partent en flamme à la réalité de l’humiliation quotidienne,
L’incertitude du chaos à
ce que me réserve l’avenir de façon certaine, l’insolent,
Bien plus insolent que
moi!
Quand pètent les Watts,
Il faut se
renseigner : qui est vraiment coupable?
La bavure ou ce qu’elle
entraîne?
Le terreau ou la graine?
L’essence ou
l’étincelle?
Que s’est-il passé à
L.A.?
Surtout, qui a payé?
Pour une incivilité,
Combien d’humiliations?
Pour une salve
d’insultes,
Combien d’années de
mépris?
Pour un vol à la tire,
Combien de générations
sacrifiées?
Pour quelques petits
deals,
Combien de crimes niés?
Pour des pavés lancés,
Combien de vies
brisées ?
Il est, semble-t-il,
logique et convenable
De terroriser ceux qui
crèvent de peur
À en dire qu’ils n’ont
plus peur de rien.
De moraliser ceux qui
n’ont pas les moyens de s’offrir votre morale.
De punir les punis
Et de les caricaturer
jusqu’à faire en sorte
Qu’ils se reconnaissent
eux-mêmes dans la caricature.
A chacun sa façon de
voir
Et de vivre.
Celles-là, je vous les
laisse.
Je n’ai aucune envie de
rester comme un con de l’Histoire,
La vraie, celle qui
n’avance pas par le centre mais les périphéries.
Celle qui parle d’un
passé qui demeure présent.
Continuez à piller les
idées des pauvres
Pour les revendre aux
gosses des riches,
À nous craindre, à nous
dénoncer
Tout en crevant de
jalousie.
Le silence de vos
quartiers transpire la névrose.
Nos prisons sont d’abord les vôtres,
Vous êtes les matons de
l’ennui
Symptômes aigus, preuve
formelle
D’une maladie muette.
Je fais tout pour me
faire la belle,
Aller voir ailleurs si
on vit,
Pour fuir votre triste
caverne,
Serein car sainement
révolté.
Ma revanche, c’est votre
tristesse
Et mon espoir, ma
liberté
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