Du
fol orgueil de rester anonymes
« Il
(...) poursuivit en insistant sur l’importance primordiale de l’anonymat dans
toute tentative de parachèvement de l’autonomie, qu’elle soit individuelle ou
collective ».
« A bas le succès »
«…»
L’orgueil est la chose
du monde la mieux partagée; il est aisé de constater combien chacun est
convaincu de la valeur de son propre sens commun. Du plus odieux des cuistres à
la fleur des sages, tout le monde est certain d’avoir un peu plus raison
que les autres[1].
C’est la plus coriace de nos sales petites certitudes.
Ces dernières passent
pour être le fondement de nos identités, piteuses petites croyances que rien ni
personne ne pourrait faire vaciller: cela serait insupportable, cela mettrait
en danger nos existences mêmes... Ces certitudes sont si puissantes, si
effectives que pour beaucoup, elles restent ignorées. Pourtant, toutes nos
paroles et beaucoup de nos actes[2]
ont pour unique et secret objet de nous faire briller aux yeux de ceux qui nous
entourent. Nous sommes à la merci de leur regard, aussi dépendants de l’image
qu’ils nous renvoient qu’intimement persuadés d’être supérieurs. Dès que
quelqu’un ouvre la bouche[3],
il défend d’une certaine manière ce qu’il suppose être ses intérêts, ses choix
ou ses non-choix existentiels, tente d’imposer sa vision des choses, révèle ce
qu’il croit être la vérité, qui n’est en fait que la sienne, celle qui lui a
permis de se construire. Et toujours, de façon plus ou moins pathétique car
plus ou moins consciente, il essaie de la justifier. « Comment pourrais-je
renier mes vérités sans me renier moi-même? »,
pensent tous ceux qui pensent que les autres pensent comme eux. Tous ceux qui
en sont encore à croire que s’ils étaient
à
la place des autres, ils seraient toujours à la leur. Après tout, le seul point
commun que l’on s’accorde - et encore, entre gens de bonne compagnie - c’est
d’être un humain. Et ce que l’on projette sur les autres, que l’on s’en méfie
ou qu’on leur prête confiance, c’est ce que l’on sait de soi[4].
Juger les autres ne fait que mettre en lumière le crédit que l’on s’accorde[5].
Or,
contrairement à une idée reçue, on est jamais plus fragile que lorsque l’on a
des certitudes dont on n’imagine pas un instant qu’elles pourraient ne pas être
partagées par tous. Des certitudes que la peur rend inébranlables. Car cette
peur prend alors le visage de la vanité, qui permet de cadenasser ses doutes et
de se préserver, au moins en surface, de frousses insondables. Le saugrenu
contresens qui veut que moins l’on est sûr de soi, plus on argue de l’être est
socialement calamiteux, mais le plus déplorable reste qu’il interdit de sentir
la poésie, de reconnaître les talents et de glaner la rigolade. Sans les
autres, on n’est pas grand-chose et à trop s’écouter soi-même, on n’entend plus
personne. Il ne reste alors plus qu’à répéter ce que d’autres disent être la
vie et s’enliser à tenter de vivre à leur place.
Tout individu est
orgueilleux : Quoi de plus « naturel » ? Cette conviction
d’être meilleur, ou seulement moins mauvais fait partie du chapelet de
croyances indispensables à la survie. Elle offre également une formidable -
bien que partielle - cohérence à un système de pensée dominant qui érige chacun
d’entre nous en concurrents plus ou moins zélés. La vénération de la conscience
individuelle, la conviction de la singularité de chaque être permet un
insidieux glissement vers l’idéologie de la compétition entre tous et chacun.
Le maître suprême est l’individu, c’est donc à lui de se mesurer à tous ses
semblables ; de se rendre complice de domination ou coupable de prétendre ne pas
avoir le choix de le faire. Le nœud dialectique est pourtant de taille :
contrairement à ce qu’affirment ceux qui s’en trouvent satisfaits, un être
humain ne peut pas le rester bien longtemps seul. Dès que nous sommes
plusieurs, il nous faut bien faire société. Au grand dam de tous ces messieurs
du retour à l’état de nature, un système de pensée n’est cohérent que lorsqu’il
peut se survivre et que son issue fatale n’est pas la bataille d’une espèce
contre elle-même, bataille qui sent par trop la charogne…
Le pire n’est pas de
perdre le respect des autres, mais le respect de soi. On peut être méprisé et
méjugé par les autres[6].
Il est beaucoup plus insupportable de se juger coupable au tribunal de sa
propre conscience. Cet orgueil est, après tout, vital et somme toute plutôt
sain ; chacun perçoit le monde de son propre point de vue, produit de son
expérience. On peut donc en conclure que personne ne peut avoir raison…à la
place d’un autre.
Mais pour trop de gens,
ne pas avoir raison, c’est avoir tort[7].
Essayer de nier un orgueil dont on a conscience mais dont on est soi-même
victime est inutile. Cet orgueil que nous partageons tous doit être perçu comme
un atout, qui peut faire de nous des dieux.
Il n’est évidemment pas - puisque rien ne l’est - inscrit dans la
« nature humaine »[8] , et il existe
sans doute quelques moyens d’en limiter les effets
pervers. Assumons et revendiquons notre orgueil ! Ce n’est
qu’à ce prix que nous réussirons à fuir et à
démasquer la vanité, triste carence de l’estime de soi. C’est à cette condition
que nous nous faisons des amis, de quelques secondes ou de toute une vie.
Nous sommes tous bouffis
d’orgueil, et les auteurs de ces lignes n’échappent pas à ce vilain défaut.
Humains, trop humains, ils placent même leur orgueil au-dessus de tous les
autres. Insolents, ils reconnaissent être sujets aux mêmes instincts culturels
que tous leurs congénères. A leur grand désespoir, leur inspiration dépasse
rarement quelques secondes et il leur arrive, plus souvent qu’à leur tour,
d’être bas, méprisables ou médiocres… D’avoir le sentiment de ne pas comprendre
grand-chose, de mourir un peu devant un poste de télévision[9],
de hurler avec les loups, de se aller à être majoritaires, d’être méchants (avec
des gens qui ne le méritent pas ou d’autres qui n’en sont pas dignes) ou en
colère contre eux-mêmes, de mépriser voire de se mépriser[10].
Bref, nous nous connaissons et c’est pour cette raison que tout ce que nous
sommes aptes à faire nous étonne. Notre narquoise lucidité sur nous-mêmes nous
inviterait davantage à penser que seuls d’autres en sont capables. C’est bien
pour cela que nous jubilons à l’idée de partager ce secret si bien gardé par
les sots, souvent gourmands de pouvoir : Il n'y a pas de sauveur suprême, ni de
technocrate ou d'artiste à l'abri de la paresse et de l'erreur. Il n'y a que
des bonimenteurs plus ou moins doués pour nous faire croire aux illustres.
Orgueilleux sommes-donc, mais fiers de n’être
jamais envieux. On ne peut être envieux que lorsque l’on est lâche. De qui
devrions-nous être jaloux ? De mythomanes schizophrènes
qui voudraient se rendre aimables en s’acharnant à
prendre l’apparence d’un piteux double ?
Ceux-ci sont plus à plaindre qu’à envier. Ils sont même souvent
touchants. Ou au contraire de ceux qui par leur sérénité, voire leur sagesse,
prouvent qu’ils s’aiment et ont le toupet de ne point s’en
cacher ? Ceux-là ne méritent aucun
ressentiment. Il est préférable de se nourrir de
leur agréable commerce pour apprendre à se suivre soi-même. Ceux qui s’aiment
vraiment savent qu’ils ont tout intérêt à ceux les autres s’aiment à leur tour[11]
et font souvent preuve d’une prodigalité guillerette. Ils prennent du plaisir à
faire prendre du plaisir à prendre du plaisir et savent, puisqu’ils le vivent,
que ce n’est pas exclusivement dans l’échange de choses que l’intérêt
particulier peut rejoindre l’intérêt général.
La vanité et ses corollaires, le ressentiment et
l’envie, rongent et naissent en grande partie de ce paradoxe très partagé :
Comment-être à la fois convaincu que l’on
vaut mieux que tous les autres et qu’il est dangereux de s’écarter
de la norme? Il est beaucoup moins difficile à assumer d’accepter
que tout le monde se vaut et que chacun ne devrait pas chercher à être autre chose
que lui-même. Postures plus stupides et inutiles encore que l’arrogance,
l’envie et le ressentiment sont toujours à bannir, car tristes et nuls.
On ne peut réussir à
échanger qu’avec les orgueilleux qui acceptent a priori le principe de la tolérance[12].
Avec ceux qui, sans forcément considérer qu’ils ont tort, sont prêt à écouter
les autres à partir du moment où cette écoute est réciproque. Et elle ne peut
l’être que si l’on s’estime assez serein pour ne pas avoir sans cesse peur
d’être pris en défaut, au point d’en devenir farouche, méchant ou triste. Il
est souvent fatigant d’avoir à prouver que l’on ne cherche pas à être meilleur
que celle ou celui qui est en face, et néanmoins parfois plaisant de désamorcer
sa paranoïa, stigmate d’un des aspects les plus fâcheux de l’idéologie de notre
époque : la compétition non ludique.
Quelle
séduisante croyance que celle de la compétition ! Nos contemporains y pataugent
à ce point qu’ils ont du mal à croire qu’un inconnu ne puisse leur souhaiter
spontanément du mal. Dans un monde de compétition, l’autre ne peut en effet
qu’être au mieux un concurrent, au pire un ennemi. Dans le doute, autant lui tailler
des croupières avant qu’il ne puisse faire de même… Nous aimons aérer ces
imprégnations malsaines, remuer ces remugles idéologiques dont beaucoup
affirment être vierges, tant qu’ils ne sont pas pris au piège. Nous aussi, nous
aimons le jeu, et sa vitale émulation sans laquelle la vie ne serait qu’ennui.
Il faut pourtant être beau joueur pour savourer sa victoire… Un beau joueur
respecte des règles communément édictées, qu’il ne peut donc établir seul, ne
se mesure pas à un autre joueur qui n’en manifesterait pas le désir et surtout,
un beau joueur n’oublie jamais qu’il ne fait que… jouer. Bref, le beau joueur
sait que la compétition, comme d’ailleurs la victoire, ne sont jamais des fins
en soi. L’oublier serait s’empêcher de jouer et devoir supporter l’écœurante
solitude du meilleur. Maîtres sans esclaves, nous espérons préférer toujours
être un meilleur que le meilleur. Nous épanouir, pas nuire.
Nous nous reconnaissons volontiers
orgueilleux et espérons donc réussir à fuir la vanité. Nous sommes certes bien
mal placés pour l’affirmer, puisque nous écrivons des livres et que nous
aurions honte – comble de la présomption - d’avoir été les auteurs de bon
nombre de ceux qui ont été commis… Que l’on soit jeune poète, vendeur de rien
ou écrivain, il est de bon ton de confesser que l’ «on ne pourrait pas vivre sans écrire »[13]. Nous pensons quant
à nous que c’est l’inverse qui est vrai : on ne peut pas écrire sans
vivre vraiment. Et ce ne sont pas les tonnes d’arbres morts qui encombrent les
supermarchés de la culture qui nous feront changer d’avis. C’est pourquoi nous
attachons plus d’importance à nos vies qu’à du papier. Nous ne voyons aucun
intérêt à être connu de personnes que nous ne connaissons pas. Nous détestons
être
agents de formes passives et avons horreur du mensonge, symptôme
de faiblesse et d’impuissance[14].
Et c’est toujours mentir que d’accepter de n’être qu’une image tronquée de ce
que l’on est. Ecrire, voler, peindre, faire de la musique, l’amour, la cuisine,
s’étourdir et quantité d’autres choses ont au moins une justification : celle de
laisser une trace que d’autres pourront apercevoir. Quelle voluptueuse
euphorie de découvrir que des gens que nous ne connaissons pas, de l’autre côté
de la planète ou à d’autres époques, ont pensé comme nous d’une autre façon ! Les
systèmes de pensée dominants passent et trépassent. La subversion leur survit
toujours.
Accepter d’être une image, c’est
devenir un modèle positif ou négatif, mais toujours trompeur, comme tous les
modèles. Accepter d’être une image, c’est instituer la passivité, avoir
l’indécence de désirer vivre et parler à la place des autres. L’actuelle
tendance qui empêche l’individu de parler mais le condamne à répéter ou à se
taire nous agace. En outre, il nous semble très inquiétant d’être pris pour
quelqu’un d’autre, surtout si ce quelqu’un d’autre a quelque chose d’admirable.
Si tous les artistes médiatiques organisateurs du silence étaient mieux connus,
on se rendrait enfin compte que tout le monde peut être artiste véritable. Ça
serait quand même plus rigolo.
Nous surveillons donc de près notre
vanité, mais donnons libre cours à notre orgueil : nous écrivons
des livres anonymes parce que le seul jugement sur nous-même
qui nous tienne vraiment à cœur, c’est
le nôtre. Nous pensons avoir des idées,
et nous raffolons des idées parce que nous croyons que ce sont elles qui
peuvent changer le monde. Pas beaucoup, bien sûr. Mais l’important c’est
qu’elles changent au moins notre monde et cela, nous l’avons vérifié. Il n’y a
rien de plus réel que les idées[15].
C’est bien pour cela que celles que nous pensons mauvaises sont exclusives de
toutes les autres. Et puis elles sont si rares, les idées, que l’on peut
espérer qu’elles se révèlent utiles. Nous ne voyons pas pourquoi en avoir, ça
serait un truc réservé aux laborieux ou aux sempiternels « nouveaux
philosophes » dont la pensée a toujours plutôt
senti la soupe aux poireaux que le parfum des cimes. Nous nous proposons
d’ailleurs hic et nunc de
vendre l’idée que les vraies idées devraient être gratuites[16].
Du point de vue du commerce, notre époque est très indigeste et il commence à
être vraiment écœurant de ne rien faire que vendre ou acheter.
Rester anonymes, cela permet de
découvrir, de rencontrer et d’apprécier des gens biens, avec qui on peut
parfois rigoler un sacré coup, nom de dieu. Il est à l’inverse souvent pénible
de se retrouver avec une personne « reconnue »
sans la connaître. Que ce soit pour elle ou pour les gens qui
la rencontrent, la situation est très inconfortable. L’inconnu
doit alors montrer qu’il peut aussi être digne d’intérêt,
mais c’est souvent peine perdue puisqu’il veut l’être.
Quant au reconnu, il ne peut que s’abaisser à jouer son rôle ou se battre
vainement contre les images qu’il renvoie sans contrôle possible. Qu’il doit
être triste et difficile à vivre d’être célèbre ! D’ailleurs,
ceux qui veulent à tout prix le demeurer ont une fâcheuse tendance
à pouliner ensemble, avec tous les risques que cela comporte. Il vaut d’autant
mieux ne pas le devenir que l’on courrait alors le terrible danger de ne pas le
rester. Dans le fond, nous sommes assez poltrons, et ce genre d’expérience nous
glace d’effroi quand il nous arrive de penser à des gens qui ont brillé un
temps, mais sont devenus ternes. Après tout, c’est de leur faute, ils n’avaient
qu’à pas mentir et réfléchir un peu ... Vanitas vanitatum, et omnia vanitas[17].
Ceux qui se sentent visés nous reprocheront à coup sûr de manquer de courage.
De fait, nous tremblons à l’idée de nous voir attaqués en tant que personnes[18]
par des gens que nous ne connaissons même pas. Qu’on attaque donc nos
idées : elles n’ont besoin de personne pour se défendre et ne
demandent que ça. Evidemment, c’est moins spectaculaire...
Rester anonymes, c’est éviter
l’écueil que rencontrent bien des maladroits qui voudraient devenir célèbres en
s’éreintant à ressembler à des gens qui sont le sont devenus parce qu’ils ne
ressemblaient à rien ni personne. Ces tâcherons, parfois sympathiques et
talentueux, souvent pathétiques, ont besoin d’être reconnus pour se sentir
brillants… Inverser ces étapes ne serait-il pas un peu plus futé ? On a beau
être un artiste de la superficialité, il semble bien creux de vouloir singer ce
que d’autres ont déjà accompli et passablement sot de rêver de vivre ce qu’ils
croient que d’autres vivent ou croient eux-mêmes vivre... On atteint ici un tel
degré d’illusion que la déprime, puis l’acrimonie ne sont jamais loin. Au
risque de sembler vaniteux, nous considérons qu’il vaut mieux être soi-même
convaincu d’avoir du talent que tenter de s’en persuader en mendiant la
reconnaissance des autres. Vous le voyez, nous sommes bien suffisants. Mais
rassurez-vous, nos ami-e-s savent s’amuser de ce pompeux travers. Soudain un
peu penauds, nous rions avec eux, rassurés d’être plus humains qu’icônes, plus
vivants qu’éminents.
Rester anonymes, c’est rester
curieux. Et la curiosité, loin d’être seulement le plus joyeux des défauts, est
une résistance. Rester curieux, c’est se rendre compte qu’il existe des
artistes du quotidien, des gens biens de tous âges et de toutes conditions dans
quantité d’endroits[19].
Il est à la portée de tous de vérifier que les personnes les plus riches et les
plus généreuses ont bien compris qu’il ne leur était d’aucun profit d’être
spectaculaires. Cette attitude exige cependant de reconnaître et de tenir à
bonne distance la vanité de tous les pouvoirs, de ces innombrables mirages de
puissance qui réduisent à l’impuissance. Ces élucubrations fumeuses feront sans
doute sourire les adeptes de la férule, les auxiliaires de la domination[20].
En cherchant bien, ils devraient découvrir que d’une manière ou d’une autre,
ils sont complices de la mascarade du pouvoir. Qu’ils en rêvent ou qu’ils en
abusent, puisque ces deux postures vont de pair, le pouvoir est un bourbier
dans lequel pataugent toutes les soumissions. La puissance n’a jamais eu besoin
de quelque oppression que ce soit pour rayonner et nous aimerions que tout le
monde le comprenne, car tout le monde a une puissance à partager.
Un geste, un regard, un rire, des mots peuvent
faire de nous tous des artistes. L’artiste n’est rien sans d’autres artistes
qui le comprennent. Les pauvres d’esprit n’acceptent de reconnaître les
artistes que quand ils le sont déjà, n’acceptent d’entendre que ceux qui sont
écoutés. Il s’agit donc, en restant anonyme, de brouiller les pistes et de
rendre de banales rencontres soudain palpitantes. Certes, rester anonyme
empêche de gagner beaucoup d’argent, mais pourquoi les artistes seraient-ils
riches? Au-delà d’un humble confort matériel aussi relatif que légitime, ils n’ont pas à se laisser réifier par
l’argent[21]
ni par l’illusion de pouvoir furtif que confère la notoriété. Surtout quand il
s’agit de vendre, donc de voler une création dont tout le monde est acteur.
Nous n’accordons le droit d’être riches qu’aux fous bel et bien dangereux pour
les pouvoirs. Ils ne sont pas nombreux.
Se rendre coupable du fol orgueil de rester anonyme, c’est découvrir un horizon et vérifier si l’on peut réaliser la vraie vie ou, à défaut, poétiser le quotidien. Dévoreurs de mensonges, nous dénonçons toutes les chaires en matière d’art, de poésie et de subversion. Nous préférons traquer la joie jusque dans les moindres recoins de nos existences, là où beaucoup ne sont plus capables d’en jouir depuis qu’on leur apprend ce que doit être leur « bonheur ».
[1]La différence entre
le cuistre et le sage est simple, mais de taille : le premier se sentira
agressé si vous le contredites. Il en deviendra mauvais, surtout s’il ne
parvient pas à démontrer qu’il ne se vautre pas dans la contradiction. Le
second s’efforcera de vous convaincre et s’il n’y parvient pas, mais que la
discussion demeure possible, se réjouira de vérifier une fois de plus que les
manières de penser sont infinies, et c’est tant mieux.
[2]Il faut évidemment
distinguer les paroles des actes. Combien de gens se comportent comme s’ils
étaient plusieurs alors qu’ils sont seuls et comme s’ils étaient seuls alors
qu’ils sont plusieurs ? En dépit de ce que radote
la morale bourgeoise, se travestir dans le mensonge est le contraire du respect
de soi donc des autres…
[3]D’accord, on parle
souvent de pas grand-chose… Mais même lorsque c’est le cas, on ne parle jamais
pour ne rien dire. Et puis parler pour ne rien dire, c’est encore dire quelque
chose.
[4]On nous a souvent
montré qu’on ne connaissait à peu près personne d’autre...
[5]Nombre d’ « humanistes »
s’autorisent ainsi à insulter ceux qu’ils
n’ont jamais fait l’effort d’essayer de connaître et se disent malgré
eux : « Etant moi-même
une raclure, comment pourrais-je supporter d’imaginer
que d’autres, qui n’ont
pas ma classe, n’en
soient pas ?»…Attention, messieurs ! Tous ceux qui n’ont
aucune envie de vous ressembler ont bien compris que lorsque vous parlez de l’enfer
qu’est les autres, vous parlez encore (et
toujours)… de
vous-même.
[6]Si l’on est capable de s’avouer que
l’on a fait une erreur, c’est avec le soulagement implicite de s’estimer assez
clairvoyant et honnête pour s’en être aperçu, et fier de constater que l’on a
le courage et l’intelligence de s’amender.
[7]On se moque des « fiers » castillans dont la langue ignore la
traduction d’ « avoir tort ». Mais il est dans le fond beaucoup
plus joyeux de fredonner que personne n’a raison que de grincher que tout le
monde a tort.
[8]Oxymore aberrant…
[9]Jeté depuis.
[10]A ces mots nous
grimaçons…Car qu’y a-t-il de pire ? Ça n’est
pas le moindre des paradoxes, mais ravaler au quotidien la bile de la
résignation, de la lâcheté ou pire, de l’inconscience impuissante exige en fin
de compte plus de courage que de faire front. Pour les avoir tous les deux
essayés, nous préférons de loin le spleen minoritaire au vide nauséeux de la
complaisance envers l’ordre des choses.
[11]« Aime-toi et
le ciel – qui n’a pourtant pas
grand-chose à voir là-dedans - t’aidera ».
[12]La tolérance, ce
n’est pas autre chose que consentir à prendre en compte et accepter des vérités
particulières à partir du moment où elles sont reconnues comme telles par celui
qui les dévoile. Baissez la garde, si vous vous en sentez le courage…Vous
comprendrez alors combien c’est délectable lorsque vous êtes bien entouré-e.
[13]Ces paroles sont
certes très douces à l’oreille, mais
écrire n’a rien à voir avec « être publié ».
Est-ce que « vivre sans écrire »
signifie « vivre sans être
reconnu » ou « vivre sans s’estimer » ?
[14]« ¡ Venceréis
(…), pero no convenceréis ! »
[15]Lorsque l’on vient à
l’oublier, ce sont les idées les plus moisies qui retrouvent une jeunesse..
[16]Ceux qui n’en ont pas
pourront ainsi continuer à gagner beaucoup d’argent.
[17] Ceci dit en toute
humilité, bien que le fait de citer du latin ait tendance à nous contredire...
[18]Nous assumons notre
fragilité d’humains et ne nous sentons pas l’âme de martyrs ou de
prophètes : si cela était le cas de tout
le monde, les vaches seraient mieux gardées.
[19]Et, mais
oserons-nous l’avouer ? des lettres
qui font voyager, des enfants qui sont des soleils, des poèmes déclamés par des chiens, des larmes
accouchées par des fleurs, des envolées vers le ciel sans recours systématique
à des stupéfiants.
[20] Lorsque l’on
s’avilie à se soumettre à un pouvoir, il est en effet douloureux de penser que
d’autres pourraient y résister. La vanité conseille d’ailleurs de les y
contraindre, en réclamant sans cesse de tendre d’autres jougs.
[21]Nous pesons nos
mots. Tant pis pour les pseudos-cyniques qui feraient bien de relire Antisthène
(ou Diogène, s’il en sont capables…) .