Equiliberté
 
Je me sens équilibre,
parce que souvent contraires,
inégal à moi-même,
oxymore incarné.
Ne comptez pas sur moi
pour rejoindre des pôles
au nord comme au sud…
Ils me congèleraient.
 
Je veux être en mouvement,
toujours dynamique
et continuellement
me trouver inversé.
Il faut à cette fin,
cela semble logique,
même si ça ne l’est pas,
savoir s’arrêter.
 
Se dire qu’on est ici :
Il n’y a rien de plus bête.
Car en ce cas on ne
peut pas se trouver là.
Etre dichotomique,
n’avoir que « deux » en tête,
cesser d’être partout,
est un choix bien ingrat.
 
A la fois ligne et point
ordinaire et suprême,
ma vie est va-et-vient
entre plaisirs inverses.
Je voyage immobile
vers bien des antipodes ;
j’écris seul en vivant
traversé par la foule.
 
Mon orgueil n’a d’égal,
dans toute sa démesure
et dans son insolence,
que mon humilité.
Je brille d’être minable.
Je raille mes succès.
Se mentir à soi-même
est la pire des blessures.
 
De toutes les postures
amères à supporter,
celle de « celui qui sait »
est sans doute la pire.
Il m'arrive pourtant
de m'écouter parler,
de donner des conseils,
délicieux à fuir :
 
Reste seul à penser,
de manière à comprendre
que sans être plusieurs,
tu n’auras pas d’idée.
Nous sommes des animaux,
supérieurs à moi-même ;
pour être vraiment nous,
soyons le monde entier…
 
J’emploie l’impératif !
- mode gras que j’honnis-
Les conseils ou les ordres
n’ont que très peu d’effets.
Quelle acte est préférable : 
parler ou bien se taire ?
Tous deux peuvent être utiles
à renverser l’ennui.
 
Solitaire avéré,
misanthrope authentique,
en constante recherche
de rencontres et d’idées.
Les gens parfois déforcent,
ce sont eux qui pourrissent.
Ce sont eux qui, humains,
agitent à exister.
 
La patience est vertu
qu’il ne faut pas confondre
avec une soumission
rongée de sacrifices.
Je veux, ici, maintenant,
jouir de la sagesse
que procure le bonheur
de rester un patient.
 
« Lhabitude, cest la mort ! »,
clament les sûrs d’eux.
Je n’en suis pas si sûr,
si l’on est coutumier
de rituels de changements,
de manies enfantines.
Travaillons l’aptitude,
l’art de l’inopiné.
 
Foutre et visqueuses humeurs
mais chastes et doux baisers
concupiscence heureuse
et toujours assumée.
Sages et fous désirs
fantasmes à rougir
tempétueuse sagesse
de ne pas imiter.
 
Les excès, les abus
acquièrent leur vérité
lorsque dans l’abstinence
leur sens peut éclore.
Tel un sphinx illicite,
Je fuis les addictions
mais renais de délires
utiles et médités.
 
Plus Michaux que Prévert,
quoique adorant le vin ;
il faut savoir se perdre
pour trouver un chemin…
L’enfer artificiel
est certes bien réel
mais seulement pour qui
hait la réalité.
 
ah, dormir à la belle....
Respirer la forêt,
 gouter l'air sucré
d’altitudes sauvages,
gaspiller des étoiles,
filantes envies de vivre,
mais rester humble en tout
redescendre à la ville.
 
Le bitume est toxique;
la métropole viciée.
Des morts hantent nos murs
de béton surarmé.
Pourtant, combien de rêves
combien de folies douces
s'inventent chaque jour
aux coins de rues punies?
 
Du corps ou de l’esprit,
que nous faut-il choyer ?
Ebats ou belles lettres ?
Courir ou méditer ?
Foin de tous ces dilemmes !
Apories périmées.
Les deux procurent puissances
lorsqu’ils sont conjugués.
 
Penser avec le corps,
jouir avec son esprit
gommer, d’entre les sens,
toute vaine hiérarchie.
Lao-Tseu et Descartes
gagnent à se parler :
l’humain n’est que poussière…
d’or de lucidité.
 
Mais où est la frontière,
le rideau de fumée
qui sépare magie
et rationalité ?
Si la science, dans le fond,
est farouchement humaine
l’invention du miracle
est aussi notre fait.
 
Lumière des sciences dures,
contre l’obscurantisme,
ou sagesse des anciens
contre un progrès furieux ?
L’homme peut être sinistre
lorsqu’il croit dur comme fer,
mais il ne vaut pas mieux
s’il ne cherche à chercher.
 
Savoir trouver des gestes
anciens de millénaires
polis par nos cultures
bannis par l’efficience.
Mais se défaire d’idées
enkystées dans nos têtes
refuser l’héritage
d’un ciel d’obéissance.
 
Faut-il faire table rase 
Ou s’asseoir au banquet ?
Laquelle d’entre ces deux
postures dois-je épouser ?
Je décide, bien seul,
de tout recommencer…
avec tous les autres,
sans qui je ne suis rien.
 
« Cest dans lordre des choses »
« Nous allons tout changer ! »
sont refrains bien vulgaires
pour qui pense penser.
Car avant l’absolu
vient ce que tu pratiques
et si tu ne peux rien,
retourne à ton espèce.
 
Les idées, à coup sûr,
peuvent changer le monde,
mais elles ne naissent pas
dans la paix des salons.
D’autres avant nous l’ont dit :
ne sont vraiment fertiles
que celles en qui copulent
théorie et action.
 
Changer de territoire
me semble profitable,
mais il faut se garder
de fuir à chaque instant.
Voyageur immobile,
j’affûte mes échasses,
profite d’être ici
et ailleurs tout le temps.
 
Rire n’interdit jamais
d'être pourtant sérieux
et j'aime à me moquer
des ridicules austères.
Je retiens mes éclats
en face des limaces
qui disent rire de tout
mais qui ont peur des lois.
 
Pétri des pires cauchemars
de rats mangés vivants
je refuse que le morne
castre encore mon présent.
La barbarie triomphe
lorsque la peur du pire
en vient à étouffer
ce qui serait meilleur.
 
Respectueux de la langue,
fragile outil de paix,
que d’autres violent à souhait
sans motif opportun.
J’aime branler sa charpente,
bousculer sa carcasse.
Comme nous elle est humaine :
névrose ou liberté.
 
La prose, à son insu,
a souvent l’air sérieux,
propre, lisse et bégueule,
désert aseptisé.
Mais sa sœur poésie,
bien que grouillant de vers,
est aussi discipline
autant que liberté.
 
Tout encore nous échappe,
mais nous nous sentons forts.
plombés de nos principes,
sans sens nous errons.
Linéaire, fragmenté,
infini, circulaire ?
Evoquer un chemin
est déjà prétention.
 
Pour rester équilibres,
il nous faut avancer
sans d'autres ambitions
que de rester debout.
Décroire à tout instant,
savourer de traduire,
ou tout au moins entendre,
la vie pétitiller.

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