Le cerveau sec
 
Le monde est une varice.
J’erre au-dessus d’un gouffre.
Je ne devrais pas écrire
car j’ai le cerveau sec.
 
Ni triste ni brumeux,
pas plus que nostalgique,
mais terne à en frémir:
disposé à l’ennui.
 
Comme vidé de la vie,
machin privé d’idées,
apathique trou creux,
désert sans frisson,
 
Je pleure les puissances
qui jadis m’agitèrent
et me sens cacochyme
coulé dans le ciment.
 
Mon monde s’est tassé
dans un étroit gourbi
tandis qu’au loin rugit
l’aigre écho de la norme.
 
Plus rien n’est plus possible.
Tout deviendra bien pire.
Je poisse et je mélasse,
morose et sans couleur.
 
Je sais qu’il me faudrait
aller à la bataille,
 dériver en montagne,
m’étourdir ou chanter.
 
Or, merdeux comme tout,
je n’ose rien, j’hésite.
Je médite engourdi,
me reluque moisir.
 
Mon dedans me fait voir
tout le dehors en gris
et plus rien ne m‘attache
A tout ce que j’aimais.
 
Je pouffe d’affliction
en parcourant mes lignes,
saumâtres boursouflures
d’ego fier et faraud.
 
Je me perçois caillou,
débile en écriture,
jaloux de jalouser
ce qu’on dit ineffable
 
Je rechigne à m’user,
comme tant de scribouillards
qui recourent aux trucages
pour feindre d’exister.
 
 
J’alors et me prescris
une poudre d’escampette,
des éclats de rencontres
pour écrire à nouveau.
 
Je me mets à l’affût
d’une couleur, d’une note,
d’un soleil ou d’un rire
qui me ranimeraient.
 
Je me connais moi-même,
je traque les semblables
qui ignorent tout de moi
mais se connaissent aussi.
 
La force qu’ils me donnent
rend le mensonge instable,
plus farouche qu’un peuple
qui saurait être libre.
 
Je sors dans la rue
et respire le printemps.
Ma rue devient Lisbonne,
nous sommes bien puissants.
 
Fort et serein, ce chêne,
croisé dans la forêt
me parle et me murmure
quelque chose d’humain.
 
Je m’hisse sur la ville,
m’éclipse vers les lunes,
car je comprends enfin
un petit peu de tout.
 
Toutes les nuits prennent fin;
celles passées entre amis
s’évanouissent en laissant
des aurores magiques.
 
Nous pouvons à coup sûr
tout ce que nous voulons,
gagnons, quoi qu’il en soit
à toujours essayer.
 
S’emmêler entre humains
démolit le mensonge
le rend aussi fragile
que toutes les vérités.
 

Faire un pas de côté
est la fleur des cames;
elle fulgure une ivresse
qui ne s’englue jamais.
 
L’irrévérente audace
de désirer sans cesse
et de traquer les sens
tonitrue la sagesse.
 
De la vie selon soi
giclent mots en pagaille
qui nous font souverains,
car défaisant les rois.
 
Ces branle-bas d’idées
anodines, ordinaires
en piquant nos humeurs,
enluminent le monde.
 
Cette mystérieuse transe,
appétit de tumultes,
Si l’on peut la guetter
ne s’apprivoise pas.
 
En nulle part n’existe
un trésor plus précieux
que ce rêve éveillé
refusant de se vendre.
 
La gale du spectacle
ne nous rongera plus:
nous avons l’insolence
de régner sur nos vies.
 
La poisse du destin
nous fait rire à présent.
Nous savourons l’instant
et tous ses avenirs.

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