Le troubadour la mort
trouva
De baguenaudes en
goguettes,
gourmand de plaisirs à
glaner,
le troubadour (ou bien
trouvère)
curieux de tout
caracolait…
Au mépris de tous les
mécènes,
narguant marlous et
maquereaux,
le troubadour donnait
aux gueux,
qui souvent payaient en
retour.
Au gré des errances et
hasards,
astre joyeux, soleil
discret,
il faisait briller les
étoiles
et les trous noirs
émerveillait.
Sillonnant bourgs et
campagnes,
qui n’étaient pas encore
nations
il butinait, baroque
abeille,
le pollen de ses
chansons.
De litres tout entiers
de vie,
à l’alambic de son art,
il distillait d’exquises
fioles
d’essence d’eau de
poésie.
Tantôt accueilli comme
un frère,
parfois craint tel une
menace,
Il vivait de sourires
larges
et se dérobait des
soupirs.
De
temps à autre naissait en lui
l’envie
de poser son fourbi.
L’aigreur
qu’il lisait chez certains
lui
passait dare-dare cette humeur.
Non
qu’il crût que la plénitude
fût
réservée aux vagabonds ;
son
équilibre, irrésolu,
ne
pouvait être que questions.
« La
liberté n’a pas de prix
-
osait-il sans cesse répéter -
pourtant,
je préfère le payer
qu’être
l‘esclave d’un destin.
La raison des humains résonne
dès
qu’elle ouvre des horizons
mais
elle enferme si elle dompte
et
se change alors en prison »
À ces ampoulés mots
pompeux
répondaient piques et
quolibets :
« Tes soliloques hyperboliques
ne font pas de toi un
messie !
Tu nous sembles
d’ailleurs bien seul.
Quels fous ont le goût
de te suivre ?
Mouisard pouilleux, traîne-misère,
à quoi bon fuir ton
triste sort ? »
« Toi
qui en ce moment me moques
as
quelque chose d’un augure,
car
toute vérité utile
a
la confiance d’être raillée.
Je
ne suis rien que mon prophète
qui
fait écho parmi tant d’autres,
puisqu’
il faut rencontrer pour être
savoir
se taire pour parler.
La
liberté est une puissance
que
tous les pouvoirs inféodent,
qui
ne croît que lorsqu’elle se donne
se
gaspille, se troque entre amis.
Je
redoute que tu ne m’imites
car
il n’est de plus triste erreur,
souillée
de peur et de violence
que
de désirer être un autre ».
« Pour qui te prends-tu,
rodomont ?
Nous n’envions pas ton
histoire…
Si tu juges nos vies
piteuses,
c’est bien que la tienne
est pourrie.
Car que sais-tu, de nos
détours ?
De nos courses, de nos
escalades ?
Celui qui juge, pauvre
bavard,
est tout fatigué de la
vie. »
« Je
dure de vivre et de voyages,
d’amours
de rires et de cocagnes,
la
mort elle-même m’indiffère
car
elle est un hymne à la vie.
Mon
secret ? Ne pas en avoir.
Choisir
de ne jamais singer.
Quêter
sans cesse et en tous lieux,
la
sage audace d’exister. »
Un jour une fade dérive
porta ses pas en un pays
qui semblait fatigué de
vivre,
dont
rêves et rires étaient absents.
Des serfs atterrés,
puant la peur,
vesses de mainmise et
d’ennui,
se refusèrent à le
fêter,
craignant de mourir pour
de bon.
« Le seigneur de ces lieux est
tel
que nul ne s’oppose à
son joug.
Nous seuls osons le
brocarder »
- lui murmurèrent des enfants.
Le troubadour comprit
alors
que sa chance l’avait
quitté.
Il voulut fuir mais au
soir
du tyran était
prisonnier.
Trônant au milieu d’une
cour
de cabotins et de
cafards,
le despote arrogant mais
seul
croupissait dans la
vanité.
Proie d’une amertume
diffuse,
affligé d’un dégoût
profond,
car, maître de toutes et
de tous,
la joie
s’obstinait à le fuir.
Rotant sa bile et son
ennui,
des rires qui cachaient
des sanglots,
il fit mander le
troubadour
s’adressa à lui en ces
mots:
« On te
dit guilleret, saltimbanque,
prompt à réjouir,
désennuyer
déride-moi, fais-nous
donc rire
comme je
le fais de mes amis »
« Je pourrais
certes te parler
et te distraire dans une
langue
que dans mille ans les
érudits
oseront dire que l’on
causa…
Mais as-tu bien parlé
d’ « amis » ?
sont-ce là les limaces
qui t’entourent ?
Les rois n’ont jamais
pour comparses
que les férus de la férule.
Le pouvoir est la plaie
de ceux
qui n’en ont aucun sur
leur vie
et qui, orphelins de
puissance,
étrillent les sages qui rient »
« Fieffé
barbifiant saltimbanque !
Tu n’as
donc rien d’un turlupin :
sous tes vertueux airs bouffons
ronfle un
bien moral purotin
Tu
voudrais donc m’apprendre à vivre,
me
convertir à ton credo,
me
convaincre de ramollir,
moi qui
fais tout ce que je vaux?
« Ne gonfle pas
tant ta puissance :
en réalité tu n’es rien.
Se rêver souverain n’est
qu’un songe
lorsque l’on vit parmi
les chiens
.
C’est l’idée que tu te
fabriques
de tes vassaux que tu
méprises.
Ils te le rendront bien
un jour
,
c'est pour ça qu’au
fond, tu les crains.
Mais cette peur n’est
pas le pire
de ce que tu dois
supporter;
le cauchemar
insoutenable
est de ne jamais
rencontrer.
Car ceux qui comme toi
ruminent
que les humains sont
nains et laids,
que leurs frères sont de
la vermine,
s’aveuglent de leur
propre reflet.
Tu
méprises les gueux qui te flattent
car
toi qui trônes le sais bien ;
l'homme
soumis à un empire
ne
vaut guère plus qu’un pantin. »
« Ton orgueil
dépasse donc le mien,
si tous tes amis te ressemblent
si tu oses dire « je crois en l’Homme »
Tu es bon à manger du foin !
Me penses-tu aveugle et sans cœur ?
Je me perçois plutôt lucide :
J’ai choisi d’aider tout
prochain…
qui ne serait pas un
péril. »
« Il m’arrive, plus
qu’à mon tour,
d’être déçu par des
croquants
qui, égarés par ce qu’ils
vivent,
n’ont d’oreilles que
pour les tyrans.
Car c’est toi, et tous
tes complices
qui, jaloux de tous les
plaisirs,
condamnent, censurent et
punissent
toute joie frondeuse ou
mutine.
Je plains ceux qui, au
fond, ont peur
qui ignorent tout ce qui
est autre.
Résignés, sombres
ramenards,
plombés d’un boulet de lâcheté.
Ceux-là
qui rêvent de bonheur,
quand
n’existent que les plaisirs
qui,
à exiger le meilleur,
fomentent
sans cesse le pire.
Les plus naïfs sont bien
ceux,
dépités de leur
propre vie,
qui rêvent de chimères
sectaires
et châtrent ainsi tous
les présents.
Qui ferme les yeux une
fois
risque d’être aveugle à
jamais.
Qui s’en remet à un
destin
Renonce à son
humanité. »
« Tu
me déçois, polichinelle…
A
t’entendre parler ainsi,
je crois
entendre le crucifié
Tendrais-tu
donc l’autre joue ?
Seras-tu
aussi volubile
lorsque
l’on te trouera le cuir ?
Tiendras-tu à
coqueriquer
si au matin tu dois
périr ?
Oserais-tu boire le calice
par amour
de ta vérité ?
Avouerais-tu
être sans peur,
Refuser toute
soumission ? »
« Bien loin de moi
cette gloriole,
car je vis aussi le
tourment
de voir la vie prendre
des coups,
se cacher, soudain, dans
le noir.
Je ne fuis jamais ces
angoisses,
car ce sont elles qui
m’agitent
à éprouver bien des
puissances,
à manier la vie comme
une arme.
Tu ne sauras jamais sans
doute,
ce qui fulgure dans mon
corps
et ce qui vibre dans mon
âme,
lorsque je chante le
tumulte.
Car qui possède peu de
choses
ne craint que celui qui
dispose.
Ma peur est une peur de
perdre
ce qui ne peut pas
s’acheter.
Perdre la vie qui étincelle,
berce et gambille, gaule
et ballotte,
ne
me flanque pas les pétoches,
mais m’inspire bien des
regrets.»
« Blabla, comme tu me fatigues.
Quel
insolent jacquot tu fais…
Je goûte pourtant tes
délires
qui me délassent des
valets.
Mais dis-moi, il faut
que je sache
si, comme nombre de tes
semblables,
gloire et argent,
honneurs et femmes
pourraient te lier aux
plus grands.»
« J'ai
cru comprendre de mes voyages
que
ceux qui veulent t'enrichir
avilissent
plus qu'ils ne soulagent
te
voudraient aussi méprisable qu'eux.
La
liberté n’a de frontière
que
lorsqu’elle renonce à elle-même.
Je
crache ainsi sur l’opulence
Comme
le feront mes épigones. »
« Tu espères donc
être suivi…
Mais es-tu sûr que ton
chemin
brillera au cœur de la
nuit,
franchira le petit
matin ? »
Le passé fait souvent
mentir
ceux qui crachent sur le
présent.
Sagace, j’espère
l’avenir
et guette tous les
« Maintenant! »
« Ne crois pas
qu’un simple mortel
puisse être nuisible à
mon dogme,
mais tes idées
insaisissables
pourraient être bien
dangereuses.
Avec remords, crois-le
bien,
- tu sais qu’il n’y a
pas de méchants –
je vais sommer qu’on te
supprime
pour défendre ma
vérité. »
Repu de délicieux
moments,
de beauté qui se
précipite,
le troubadour s’en
trouva
malgré tout bigrement déçu.
« Mourir de bonheur, de bonne heure ? »
Sans nul scrupule il rendit l’âme
heureux de devenir poème,
le troubadour la mort trouva.
Table des matières