Les candidats à
l’importance
On
les rencontre dans tous les milieux. Cela leur va d’ailleurs très bien : c’est souvent au milieu
qu’ils choisissent d’exister. Quand on a entendu parler, voire, même si c’est
plus rare, lu Descartes, on a bien retenu qu’il fallait fuir les extrêmes. Mais
les candidats à l’importance n’ont pas le temps de réfléchir à ce qu’est un extrême.
Ils font donc confiance à leurs magazines et déploient des trésors d’énergie à
toujours se situer au milieu …de rien.
Les candidats à
l’importance ont souvent une écriture illisible. Elle les soulage de cruelles
contingences orthographiques à leurs yeux honteuses. Et puis, au-delà du
cauchemar des consonnes doubles ou de la règle de l’accord du participe passé,
ils songent avec fierté que leur belle patte de mouche est unique et qu’elle
est l’écho graphologique de leur immense valeur. Les candidats à l’importance
sont très nombreux à se penser singuliers.
Les candidats à
l’importance aiment à faire croire qu’ils travaillent à foison. Ils sont
souvent très doués et ont brillamment réussi leurs études dans les meilleures
écoles (les plus chères mais aussi les gratuites, que si peu peuvent
s’offrir).
Mais ils sont d’autant plus conscients que « le
travail, c’est ingrat » qu’ils
excellent dans l’art de ruminer celui des autres.
Si
l’on tient compte du travail que les candidats à l’importance disent fournir,
il nous faut bien admettre que leurs nuits sont incroyablement plus courtes que
les nôtres, que leurs journées font plus de vingt quatre heures, qu’ils n’ont
jamais le temps de faire caca. Pourtant, ils s’intéressent avec passion à la
télévision -média totalitaire qui gangrène tous les autres- puisque c’est là qu’aiment à se répandre les
candidats à l’importance devenus importants et qui peuvent enfin passer leur
temps à répondre à des questions qui sont déjà des réponses. Ils trouvent aussi
le temps de bien manger, d’écrire du vide, de bien se reposer et même parfois
de faire de l’exercice ou de sauter des maîtresses. Les candidats à
l’importance ont appris de la conduite de leurs aînés - ils sont bien placés
pour savoir qu’il faut davantage faire confiance aux actes qu’aux discours -
qu’il est impossible de briller en étant austère. Il est précieux d’être en
très bonne forme pour pouvoir asséner à son entourage que le travail est
épanouissant. Les candidats à l’importance sont toujours disposés à se sacrifier
en ce sens pour obtenir que les autres donnent le meilleur d’eux-mêmes. Les
exemples les plus convaincants ne sont-ils pas ceux que l’on invoque sans les
suivre soi-même?
Les candidats à l’importance ont parfois lu
Clausewitz, Sun Tsu, Machiavel et le Cardinal de Retz, mais les listes de
citations qu’ils dressent et apprennent par cœur sont issues d’œuvres plus
pacifiques. Ils adorent en tous cas en accoutrer leurs boniments et les choisir
avec soin en fonction du profil de ceux qui les écoutent et du nombre de
mensonges qu’ils ont à faire avaler.
Il existe bien sûr une autre catégorie de
candidats à l’importance : ceux qui n’ont rien lu. Tant pis pour eux.
Les candidats à l’importance prônent la
singularité et le mérite. Mais fidèles à leur inconsciente vertu suprême,
ils pataugent dans le conformisme et vivent de réseaux d’accointances qu’un
soupçon de panache les convaincrait d’abandonner aux gueux.
Les candidats à
l’importance étaient souvent des braves types, avant. Mais comment s’en
souvenir alors qu’ils l’ont eux-mêmes oublié ?
Trop
occupés à s’inquiéter des modes et d’autres toutes petites choses, les
candidats à l’importance considèrent souvent que « dans le fond, l’Histoire, ç’est un truc qui sert à rien ». Ils finissent de
fait toujours dans ses poubelles.
Les candidats à
l’importance ont un étrange rapport au vulgaire. Ils méprisent avec force tous
ceux qui sont moins riches ou moins bien nés. Ils doivent pourtant, en nos
époques « démocratiques », se donner la peine d’entamer
leur immense capital d’hypocrisie à faire penser le
contraire. Cette aptitude au mensonge méprisant est, il est
vrai, partagée de façon beaucoup plus
maladroite par la plèbe, qui a souvent autre chose à faire. Passer son temps à mentir est pourtant la
pire manière d’apprendre à exister et de loin la plus triviale. C’est pour cela
que lorsque le masque de finesse et d’assurance d’un candidat à l’importance
vient à tomber, celui-ci croit être enfin authentique, alors que le pire des
poissards le jugerait vulgaire.
Les candidats à
l’importance sont capables de faire preuve de beaucoup d’humour, sauf lorsqu’il
concerne deux sujets à propos desquels ils ne rigolent plus du tout, même s’ils
ne sont pas avec n’importe qui : eux-mêmes et la sciencéconomique.
Ils ne peuvent concevoir que la sciencéconomique est depuis
toujours incapable d’établir des lois fiables puisqu’
incapable de les vérifier, impropre à la moindre prévision qui ne
relève pas, dans le fond, de la
superstition. La météorologie elle-même est bien plus fiable que la
sciencéconomique qui n’est capable de prévoir que le passé, mais les candidats
à l’importance traitent de médiocres ceux qui passent leur temps à parler du
temps qu’il fait et méprisent instinctivement tout ce qui peut s’opposer aux
thèses de la sciencéconomique. A tel point que pour eux, il ne s’agit plus
d’une science mais d’une transcendance. Mais ne le faites pas remarquer à un
candidat à l’importance… Il saurait vous montrer qu’il est rationaliste jusqu’au
bout des ongles et réussirait à ensevelir ses présupposés idéologicomagiques
sous des tombereaux d’équations, démonstrations et autres scories positivistes.
Les candidats à l’importance ont du mal à se détacher des idées majoritaires.
C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont candidats à l’importance.
Les
candidats à l’importance ont toujours de mauvaises nouvelles à annoncer aux
autres. Ils s’acquittent avec un zèle faussement attristé de cette tâche
ingrate en rappelant que c’est la réalité, et l’indispensable adaptation à
cette réalité, qui les y oblige. Les candidats à l’importance ont toujours sous
la main une réalité qui les arrange. Ils devraient savoir que l’on ne voit que
ce que l’on croit mais claironnent que la seule réalité qui vaille, c’est la
leur. Comment peut-on parler de réalité lorsque l’on ne connaît pas le prix
d’une baguette, que l’on ne torche jamais ses mioches et que l’on croit
sottement que les pauvres sont toujours assez nigauds pour faire confiance à
des candidats à l’importance sans
qu’une police ne les y force ?
Les candidats à
l’importance savent exciter le candidat à l’importance qui sommeille en chacun
de nous. Ils sont très fiers d’avoir compris que la flatterie est beaucoup plus
efficace que la sincérité et cela les arrange, car ils ne sont pas très courageux.
Ils caressent ceux qui leur sont soumis, leurs « médiocres »,
sans se donner trop de mal mais toujours avec ce qu’il
faut de mépris. Ils savent endormir leurs ennemis qui, trop heureux de mesurer
leur importance en se mesurant à un candidat à l’importance, s’en voient
secrètement flattés et en oublient leurs griefs.
Les
candidats à l’importance savent causer. Ils font très peu d’erreurs
d’expression et bafouillent encore plus rarement. Ils en sont très aussi très fiers, car
cela impressionne beaucoup les gobe-mouches. Cela ne fait pourtant que prouver
qu’ils mentent tout ce qu’ils racontent. Il faut toujours se méfier des gens
qui parlent trop proprement. Au moins autant que de ceux qui croient que,
tandis qu’ils pensent nous duper, leur visage et leur regard reste lui aussi
docile et muet.
Les candidats à
l’importance sont foncièrement conservateurs, mais aiment répéter, avec une
moue attendrie et un sourire condescendant, que les utopies sont nécessaires et
que ce sont elles qui font avancer le monde. Ils ne savent pourtant pas
vraiment ce que cela veut dire et restent très « pragmatiques », même si ce
pragmatisme (se) repose sur des fantasmes. Pour un candidat à l’importance, il
faut se méfier de tout projet qui ne soit pas à la mode, car il est forcément
utopique et irréaliste. Ils ont en cela raison : rien n’est en effet possible
jusqu’à ce qu’il le devienne, même en syntaxe.
Les candidats à
l’importance ont compris beaucoup de choses sur l’âme humaine, mais ne s’en
vantent que lorsqu’ils pensent que cela peut leur être utile. Ils ont une haute
opinion de la hiérarchie puisque c’est elle qui confère de l’importance. Ils se
montrent donc aussi inflexibles et tyranniques avec leurs sous-fifres que
soumis et craintifs à l’égard de leurs supérieurs, qu’ils envient. Ils savent
qu’un candidat à l’importance n’est tenu de respecter des règles que si cela se
sait et brûlent parfois d’envie de dénoncer l’hypocrite absurdité du pouvoir,
mais rechignent à remettre en cause quelque pouvoir que ce soit ; les candidats
à l’importance ont peur de scier la branche sur laquelle ils sont assis.
Les candidats à
l’importance sont de très grands comédiens. Ils ne reculent devant aucun
artifice facial ou corporel pour se faire aimer et comprendre, mais craignent
comme la peste les grimaces incontrôlables de l’humiliation ou de la
défaite. Les candidats à l’importance
savent se montrer humbles, mais uniquement quand ils comprennent que quelqu’un
qu’ils croyaient comprendre a lui-même parfaitement compris qu’ils croyaient le
comprendre.
Les candidats à
l’importance défient les principes de non-contradiction en matière de
morphologie lexicale. Ils parviennent en effet à être à la fois et en
permanence dans la posture et l’imposture.
Les
candidats à l’importance ne seraient pas grand-chose sans tous ceux qui
choisissent d’abdiquer leur puissance à leur bénéfice. Tous ces complices des
candidats à l’importance ont oublié la puissance du collectif et se croient
brillants quand ils pensent dans leur toute petite tête et leur triste coin qu’un
humain seul ne peut agir sur son destin. Ce sont souvent les mêmes qui, ne
reculant devant aucune contradiction, décident collectivement de mettre leur
destin entre les mains des hommes si seuls que sont les candidats à
l’importance. Pour ces derniers, l’importance est quelque chose qui ne se
partage pas.
Les candidats à
l’importance n’ont pas toujours un physique généreux. Si c’est le cas
néanmoins, ils ont beau jeu d’abuser les niais qui pensent que la plastique est
le reflet de l’âme. S’ils ne sont pas séduisants, ils choisissent tout de même
l’uniforme de ceux qui ont toujours quelque chose à cacher et qui tirent une
grande partie de leur autorité de leur simple apparence : le costume, la cravate
et les souliers cirés. Leur coupe de cheveux devient l’unique indice de leur
extravagance, non dénuée de calculs. Les candidats à l’importance ont
parfaitement compris que l’on peut se permettre beaucoup de choses lorsque l’on
ne risque pas d’être victime d’un délit de sale gueule. Et
pourtant, quels que soient les efforts qu’ils prodiguent à
rester séduisants, les candidats à
l’importance
finissent toujours fort adipeux, au moins du dedans.
Les
candidats à l’importance aiment comprendre ou du moins le laisser croire. Ils
restent pourtant très perplexes devant ceux qui n’ont rien à prouver, les timides qui ont appris à parler, mais qui
ne jugent pas utile de s’exprimer pour ne rien dire. Les candidats à
l’importance sont convaincus qu’il est impératif de pérorer pour exister. Il ne
leur vient trop rarement à l’esprit que ceux qui parlent le moins ne sont pas
toujours ceux qui ont le plus peur.
Les candidats à l’importance
sont souvent obligés -par eux-mêmes- de parler de choses qui les emmerdent avec
des gens qui les emmerdent. Ils se consolent en se disant qu’un jour, plus
personne ne les emmerdera. Ils auront pourtant toujours à supporter une bien
encombrante compagnie : la leur.
Les candidats à
l’importance attendent de leurs amis qu’ils soient réellement loyaux et
fidèles. Ils sont très déçus quand par malheur ils comprennent qu’il n’y a pas
plus vil et bas qu’un candidat à l’importance qu’un autre candidat à
l’importance. Ils reprochent alors à leurs anciens amis, leurs semblables, ce
qu’ils ne peuvent se reprocher à eux-mêmes, mais en sont doublement et profondément
affligés. On le serait à moins.
Les
candidats à l’importance sont toujours en compétition. Ils passent leur temps à
se mesurer à leurs proches et s’efforcent de contenir ceux qui pourraient
manifester l’envie de prendre leur place, de leur arracher un peu de leur part
d’importance. La compétition est l’alpha et l’oméga des candidats à
l’importance. Ils y baignent avec d’autant plus de gourmandise que, sans
illusion, ils savent qu’il ne faut pas compter sur leur propre valeur mais sur
les faiblesses et la médiocrité de leurs adversaires pour emporter la victoire.
Les candidats à
l’importance savent qu’il faut toujours se dire que l’on a moins peur que son
adversaire. Leur pouvoir est là pour les y aider mais ils se disent parfois, et
des rides naissent alors sur leur front, qu’avoir moins peur, c’est encore
avoir peur… et puis ils pensent à autre chose.
Plus ils deviennent
importants, plus les candidats à l’importance se rendent compte que pour être
important, il vaut beaucoup mieux savoir mentir que penser.
Une grande majorité de
candidats à l'importance le restent toute leur vie, aveuglés par leur folie,
aveulis par leur vanité. D’autres deviennent nos caciques. Le pâle miroir de
leur puissance ne réfléchit pourtant jamais autre chose que le vide reflet
d’une fade soumission.