Mon bon dieu
 
« L’âme se plaît dans notre corps, ne demande pas à senfuir »
 
Puisque vous insistez,
obèses de bêtise,
et que j’aime la vie
en sauver ma tête
- vous qui, experts en tranches,
rêvez de la coupez-
je consens à mentir,
et qu’il m’en soit témoin !
Je sais qu’il n’en a cure,
je l’avoue : j’ai un dieu.
 
Un dieu placide, hirsute,
tout-puissant de bonace ;
pantoufles, alcools et pipe
au coin du feu divin.
Démiurge rigolard,
bienveillant, débonnaire,
qui nargue le blasphème
dont il est fort gourmand,
et répond illico,
aux jurements sacrilèges :
« Bien peu me chaut mon bon,
C’est çui qui dit qu’y est! ».
 
« Il y en a parmi vous
qui bouffent du curé ;
je leur prédis sans doute
des selles dures et sèches
de quoi avez-vous peur
 pour être si médiocre
Riez donc de moi,
Soyez plus audacieux !
 
Car il est trop facile
de moquer des croyances
en restant convaincu
d’échapper à tout dogme
Calotins et impies
Restez sages et sagaces,
humbles face aux mystères,
rebelles aux soumissions ».
 
Mon dieu jamais ne croise
de semblable au pinacle
Langueur et solitude,
sacré bourdon divin,
damnation du suprême,
rythment son quotidien.
 
Otage des croyants,
il avoue se morfondre
à en tomber jaloux
de nous, ses créatures.
A quoi bon s’évertuer
à demeurer suprême
si l’on est seul à ne
point pouvoir partager ?
 
Il en vient à douter
de sa propre existence,
voudrait vivre comme nous
qui vénérons le doute,
culbutons les credo,
moquons les vérités.
L’incertitude n’est
pas toujours une souffrance ;
douter, c’est vouloir vivre
et croire, mourir un peu.
 
« Mais notre Dieu n’est pas
conforme à notre image !
Il est fourbe et grossier
d’en faire un tel portrait !»
crient d’emblée tous ceux qui
blêmissent à me lire.
 
« Bien sûr », répliqué-je
« mais qui devons-nous croire ?
les agents de l’église,
soldats des certitudes,
matons de l’imposture,
moroses calotins ?
Si ton dieu est magie
poésie ou prodige,
aide-toi donc à vivre
alors il t’aidera ».
 
Car quel verbe risible
que ce tout petit « croire » !
Si peu d’espace oppose
erreur et conviction.
Croire, c’est croasser,
bien plus souvent que croître.
Craindre l’immense du doute
c’est s’entourer de pênes.
Voir ce que l’on veut voir
c’est devenir objet,
se verrouiller l’esprit,
commencer d’oublier
que malgré les mensonges,
les prêtres et les martyrs,
une foi, qui fût courage,
est devenue lâcheté.
 
Mon dieu l’a bien compris,
mais il n’a pas le choix.
Pour lui, tout est écrit
… par lui : quel embarras !
Souvent, il nous envie
d’ignorer tout ou presque,
d’abolir le futur
dès qu’il devient présent
et de nous contenter,
devant tant de mystères
de chercher à jouir
d’honnêtes bénéfices.
 
Car la beauté du monde
n’est pas le monopole
de ceux qui en ont peur
et qui prient, et qui prient.
Pétochards égarés,
tout dégonflés de vivre,
jusqu’à en oublier
que le monde, c’est Eux.
Il est bien difficile,
pour ces pauvres broutards,
de singer le bonheur
car il n’existe pas,
mais plus que tout se vit.
 
Mon bon dieu est surtout
rires et paysages,
musiques et justice,
saugrenues amitiés.
Talents et qualités
des affabulateurs,
rare capacité
à s’inventer des dieux,
pour finir par comprendre,
dans un frisson d’extase,
qu’au fond, tous les miracles
sont bel et bien humains.
 
Que faut-il admirer,
de ces lames bretonnes,
de ton regard qui brille,
de ce ciel étoilé,
d’un miteux qui dit « non ! »,
d’une révolte qui tonne
d’un enfant qui, rêvant,
ose désobéir ?
La merveille n’est jamais
dans ce que l’on contemple
mais dans l’aubaine offerte
de s’émerveiller.
 
La magie de la vie
n’est pas piètre spectacle
qu’il faudrait contempler
à prudente distance.
Apprendre à exister
ne peut se faire par cœur,
ne se récite pas,
et encore moins se joue.
Cette singulière école,
pour rester profitable,
doit être buissonnière
canaille, gouape et bohème.
 
Mon dieu passe son temps
à répéter sans cesse
que ne sait pas douter
qui ne rit pas de tout.
« Et en tout premier lieu,
riez donc de moi-même !
Ne confondez jamais
croyance et vérité.
Ne prenez pas le risque
de vivre de chimères,
subir des boniments,
peut rendre vénéneux »
 
« Crains le courroux divin
lorsque tu m’utilises
par frousse de la mort
ou honte de ta vie !
Asticot vaniteux,
qu’est ce que « pécher » veut dire ?
Si ce n’est fouler aux pieds
le premier de tes droits
qui est celui de vivre ?
Connais-tu deux des plus
sinistres sacrilèges?
se suffire d’imiter,
habiter le néant,
bouder le privilège
de pouvoir être soi ».
 
« Ils gardent le beau rôle
ceux de vous qui condamnent,
qui blâment, qui censurent,
pour se faire oublier.
Ceux qui n’ont à la bouche
que « châtiments divins»
Ouvrez les yeux, jochrists!
car je n’y suis pour rien.
Le blâme est inventé
par vos malins semblables
ce sont bien des mortels
qui dictent le calvaire ».
 
« Mollusques offusqués
par de faux sacrilèges !
Ignorez-vous qu’il est
de saintes hérésies ?
Vous qui tous vous targuez
de vénérer la vie :
elle n’est pas abandon,
mais toujours découverte.
Subtil déséquilibre,
désordre et harmonie,
torrent de boue magique
qu’il est vain d’endiguer ».
 
Mon Dieu parfois ricane,
-  c’est quand il a trop bu -
lorsqu’il voit qu’en son nom
nous immondons le monde.
Il peste qu’on l’invoque,
implore qu’on le néglige,
n’est alors que menace
de se faire oublier.
 
Il se console pourtant,
dès qu’il entend des rires,
des chahuts, des chansons
et de joyeux tumultes.
Car ceux qui les colportent,
plus qu’avec un fétiche,
gagnent à s’entretenir
avec le Monde Entier.

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