Quand la
culture dégouline…
La culture, pour certains, ça ressemble à une
sauce de ragoût figée.
Les crétins qui disent s’en moquer la voient
sans doute ainsi. Ce n’est pas en cela que l’on peut leur reprocher leur
bêtise. Ce sont des crétins parce qu’ils méprisent quelque chose dont ils ne
savent pas ce que c’est.
A leur instar, beaucoup de « défenseurs
de la culture » feraient souvent mieux de se taire. Il arrive
qu’à vouloir défendre une cause avec boursouflure, on en vienne à lui nuire.
Lorsque que l’on dit vouloir défendre celle de
la culture, mieux vaut s’abstenir de transpirer le mépris ou la vanité. On
risque vite dans le cas contraire de rallier la posture des maroufles.
La cuculture est de nos jours un pouvoir qui
peut être aussi vulgaire, exclusif et absurde que celui de l’argent. Cuculture
et popossession vont d’ailleurs souvent de pair. Beurk.
Pas toujours cependant, mais les enculturés pas
riches aspirent souvent à le devenir.
Ils croient en effet que cela leur permettrait
de briller de façon moins contradictoire et s’efforcent de vivre avec cette
douleur.
Dédaignés par les opulents pleins de vide, ils
tentent de la soulager en cultivant la richesse symbolique de la cuculture.
L’enculturé méprise ceux qu’il considère comme
des rustres, surtout quand ils sont pauvres.
Il adore s’entretenir avec des parvenus de
choses guindées et ronflantes.
C’est incroyable de dire si peu de choses en
parlant autant.
Il adore utiliser des mots savants qui lui
permettent de cacher le tout petit peu qu’il pense.
En revanche, il ne supporte pas les artistes
dont l’œuvre ne peut se résumer à quelques petites phrases distillées avec plus
ou moins de parcimonie entre le fromage et le dessert ou lors de raouts
cuculturels.
Et c’est
bien dommage, car les artistes véritables eussent sans nul doute aimé
que leurs divagations se passassent de commentaires. Ce
sont des actes qu’elles réclament.
Bref, tous ceux qui ne comprennent pas ce que
l’enculturé dit comprendre sont des
idiots, mais tous ceux dont il ne comprend rien sont des imposteurs.
En ce cas, tous les vrais artistes ont été
les imposteurs d’une époque.
Mais le confit de cuculture l’ignore.
Il préfère bien souvent les artistes morts.
Vivants, ils l’auraient trop aisément contredit, voire moqué.
Les confits de cuculture sont faciles à
démasquer : Ils font des gorges chaudes des subversions du passé, mais se
méfient toujours des libertés du présent.
L’enculturé croit briller lorsqu’il est
compliqué. Il exulte à l’idée qu’on le trouve original, mais prend bien garde
de ne jamais s’écarter de la norme. Il s’empresse par exemple d’adopter les
tics de langage de ses contemporains. Quoique. Il n’est même pas sûr qu’il en
soit conscient.
Bref, tel un paon faisant la roue, l’enculturé
s’expose à la moindre bourrasque de ridicule.
Pourtant, le confit de culture devient soudain
méchant lorsqu’il se heurte au complexe.
Il méprise des choses très simples - en général
des idées dont son instinct bourgeois sent bien qu’elles pourraient déranger
son confort - mais ne supporte pas non plus que d’autres se comprennent sans
lui.
Ces comportements lui semblent déviants.
Il redoute les vrais pas de côté et ne
refuserait pas que d’autres que lui se chargent de remettre dans le droit
chemin.
L’enculturé s’enorgueillit de sa tolérance, mais
celle-ci à ses limites, tout de même. Elles s’arrêtent précisément là où
commence la subversion.
Et la pire des subversions, pour le confit de
culture, c’est de penser que tout le monde peut être artiste.
Lui s’en juge à ce point incapable qu’il supporte
avec peine que d’autres se sentent plus sereins et généreux à ce propos.
L’enculturé juge la
jeunesse, sa colère et son humour, avec sévérité. Il a tendance à perdre du
temps à en parler avec des semblables. Du temps et de l’énergie, car il sent
bien que la vie lui échappe.
Ce qui intéresse l’enculturé, ce n’est pas la
création artistique.
C’est
la moelle faisandée dont on l’enrobe dans les manuels et les musées, où elle
n’est invitée que lorsque sa charge de subversion appartient au passé,
lorsqu’elle n’est plus dangereuse pour l’ordre des choses.
Un seul être est finalement plus déplorable que
l’enculturé: c’est l’artiste en toc qui le choisit comme marlou.
Puisqu’il est toujours en retard pour avoir des
idées, le seul art que le confit de cuculture cultive, c’est celui de la
régurgitation. Morose ruminant miné par la mode du faire mine, qui défend la
culture, mais ne sait pas pourquoi.
Epouvantails érudits et abrutis résolus,
réconciliez-vous ! A défaut de partager milieux
et mœurs, vous avez en commun la suffisance et la
faiblesse de tous ceux qui, jugeant toujours, se sentent toujours jugés.
Car dans le fond, la « culture »,
c’est
quoi ?
C’est d’abord de savoir que bien
qu’indispensable, un dictionnaire ne pourra jamais nous suffire.
Refuser de l’admettre reviendrait à se
contredire : comment pourrait-on cultiver une terre stérile, qui n’aurait
plus rien à donner ?
Bien sûr, à côté du sens « propre »
trône son détourné,
le « figuré ».
Mais là encore, qui nous mettra d’accord ?
Prenons l’initiative: La culture, c’est
tout ce qu’ont fait, font et feront les humains pour s’élever
au-delà de leur condition naturelle.
La
culture est tout ce qui nous éloigne de la Nature et nous permet de vivre
ensemble.
Ça n’a rien à voir avec la loi du plus fort.
La culture, ce n’est pas la connaissance et la
névrose, c’est le savoir et la liberté.
La culture, c’est joyeux. C’est d’un rire qui ne
pèse ni ne blesse. D’un rire qui transporte.
La culture, c’est ce qui permet de rencontrer
aussi quelqu’un qui peut ne pas être ici.
La culture, c’est l’envie de dire et d’écouter.
La
culture, c’est le contraire de la peur.